
Nouveau grand bond en avant avec le très disert Rodolphe pour une trilogie de SF peut-être plus riche que les précédentes et habituelles. On a moins l’impression d’un pillage de filon magique, davantage de construction et d’interrogations. Si bien que le héros bon chic, bon genre, habitué à une société du bonheur forcé, va peu à peu remettre en cause cette forme de totalitarisme de la joie.
L’histoire : dans un futur plus ou moins proche, Will Jones campe un homme épanoui et dans la force de l’âge. C’est simple, son quotidien n’est tissé que de bonheur et de volupté. Ses implants mentaux et sa bonne à tout faire, un androïde, lui assurent une sécurité et un bonheur entiers. Cette vie lisse et monotone le comble jusqu’au jour où il trouve un livre, pourtant interdit, dans son casier. Cet objet puis d’autres commencent à enfoncer un coin dans ses certitudes. Et si la vie, c’était autre chose. Au risque que la société le rejette.
Mon avis : dans la prolifique œuvre de fiction et d’anticipation de Rodolphe, les systèmes coercitifs sont légion. L’intrigue de ce dernier est basée là-dessus et on pourrait la nommer la dictature du bonheur. Ou l’obligation absolue édictée par un système que chacun de ses citoyens soient heureux. De gré ou de force. Une norme de contrôle absolue de l’humanité. A destination cependant d’une seule classe, celle des plus riches. Un univers dans lequel l’homme croit être né dans une ruche, sans parents donc et où l’amour physique ne s’épanche qu’avec des babes ou des boys, des androïdes qui savent aussi faire à manger. Le rêve absolu, surtout que les bons élèves du régime peuvent changer de partenaires plus souvent. L’homme n’a donc qu’à produire et à jouir. Voilà la vie dans ce récit d’anticipation. Une vie où le passé doit être gommé sous le slogan “Pour un présent heureux, un passé lisse”. Personne ne doit penser en dehors du système. Bienvenue dans la joie totalitaire.
Sauf que le héros, un mouton conciliant jusque-là, commence à briser œillères lorsqu’une main pas innocente lui glisse un livre dans son casier. Rubicon franchi puisque les bouquins sont purement et simplement interdits, de peur que la déviance s’installe et que chacun se mette à penser par lui-même. Ce premier opus d’une série, prévue en trois tomes, livre pas mal de questions sur le rapport à l’autorité, à l’État, aux autres et aux croyances. Pourquoi, notamment, tout le monde ne se satisferait-il pas d’un bonheur absolu, sans question, sans doutes, triste et totalement aseptisé ? Peut-être parce que l’être humain est un indécrottable individualiste, assoiffé de liberté. Les deux prochains tomes devraient permettre d’affiner la réponse.
Dans la veine exploitée depuis de nombreuses années par Rodolphe, Utopie est l’une des plus complexifiées et des plus intéressantes de ses séries de science fiction. Reste à tenir la promesse.





En accompagnement : Roméo et Juliette, la tragédie amoureuse de William Shakespeare.
Autour de la BD : Rodolphe poursuit sa quête d’au-delà et d’après, dans la même veine que Centaurus, Europa ou Demain. Griffo, qui est de la même génération que son scénariste, a une liste de BD longue comme le bras derrière lui. Le dessinateur, récompensé pour l’excellent Monsieur noir, propose un trait vif et précis.
Les + : la mise en situation de l’histoire, le dessin
Le – : une petite faiblesse scénaristique lors de la rencontre entre Will et Bleue
- Scénario : Rodolphe
- Dessin : Griffo
- Éditeur : Delcourt
- Prix : 13,50 €