Ethan Reckless a été bien inspiré de recueillir dans son cinéma la petite délinquante qui posait des A cerclés sur les portes de son établissement. Assagie Anna supplée l’enquêteur de la Cité des Anges dans une ambiance légèrement paranormale. Une aventure intense qui la met en lumière. Elle n’aura de cesse de prouver qu’elle le mérite bien.

L’histoire : en novembre 1989, Ethan Reckless a accepté un boulot d’enquêteur à Frisco, si bien qu’Anna est seule en poste pour gérer le cinéma El Ricardo et l’agence informelle de détectives privés. Contactée par une ancienne gloire de films d’horreur, elle est chargée de vérifier si un manoir est hanté ou non. Le risque, c’est qu’à force de chercher, Anna risque bien de tomber dur des mystères qui la dépassent de loin.
Mon avis : ce quatrième opus de l’excellentissime série Reckless tente un pari audacieux, celui de faire du Ethan Reckless sans son héros éponyme. Le beau gosse chevronné est le grand absent de cet épisode et, pourtant, son ombre plane pendant toute l’aventure. Non, que sa protégée ne soit pas à la hauteur de la tâche mais plutôt parce qu’elle parvient assez aisément à marcher dans les pas de son mentor. C’est la grande réussite de la doublette Ed Brubaker – Sean Phillips, faire naître d’autres personnages dans l’univers d’un héros assez omnipotent jusque-là. On découvre plus avant cette jeune femme sans peur qui arbore fièrement une chevelure violetasse digne de vos plus vielles grand-mères à la sortie d’un coiffeur pour dames. Cette véritable éclosion donne un nouveau souffle à une série qui n’en manquait pourtant pas, ce qui est le signe d’une vraie réussite. Audacieuse, courageuse, tourmentée, opiniâtre, les qualificatifs pleuvent sur Anna, pourtant pas aidée par une mère plus teen que Milf.
Là où c’est moins une surprise, en revanche, c’est le scénario précis et pointu. La machine à hits est toujours de sortie avec Brubaker au stylo. L’ambiance, le style, la noirceur dans ce LA de la fin du XXe siècle sont à l’avenant. C’est du polar noir, limite surnaturel, qui dépeint, là encore, les bas-fonds d’une société qui ne consacre que la réussite et qui cache l’échec. On touche du doigt l’univers des puissants et on se pince le nez devant la folie des moins bien lotis. Une forme de drame social formidablement mis en musique.
Reckless est une série de référence et n’est pas près de dégringoler de son piédestal en parvenant à se régénérer ainsi. Descente aux enfers, le prochain laïus, devrait replacer Ethan Reckless au firmament mais on demande à revoir Anna au premier plan. Vite, très vite !
En accompagnement : The naked kiss, (aka Police spéciale), un film noir et policier de Samuel Fuller sorti en 1964, à l’affiche du El Ricardo dans cette BD et qui mérite un petit détour.
Autour de la BD : que dire du binôme à la base de Reckless ? Kill or be killed, Fatale, Pulp, Criminal… que des ouvrages salués par la critique et adoubés par le public. Tout ce qu’ils touchent, ils le transforment en succès.
Les + : l’histoire dans l’histoire avec l’improbable maman d’Anna, le coup de théâtre final, le dessin, j’en passe et des meilleures.
Les – : je sèche !
Écrit par Ed Brubaker
Dessiné par Sean Phillips
Édité par Delcourt
Prix : 16,50 €