
Hissez la grand-voile et direction la corne de l’Afrique pour la découverte d’une région et de la vie d’un explorateur qui gagne à être connu au début des années 1800. Ce jeune Suisse aux visages multiples pige pour la couronne des Britons mais aussi et surtout pour l’odeur de l’inconnu et l’accomplissement de ses rêves les plus fous. Une odyssée à faire pâlir tous les offices de tourisme de la planète car Pétra, c’est lui, Abou Simbel, itou et les sources du Niger, encore lui. Chacun sa route, chacun son chemin.
L’histoire : début XIXe, les puissances coloniales se livrent une rude bataille pour découvrir les terres encore inexploitées et inconnues. Pour les Britanniques de l’Association africaine, un jeune Bâlois défriche une partie du deuxième plus grand continent mondial, essentiellement dans le Nord-Est. Arabaphone et musulman, Johann Ludwig Burckhardt n’hésite pas à mettre sa vie en danger dans un périple aussi osé qu’enrichissant qui l’amène, excusez du peu, à redécouvrir la cité antique de Pétra en Jordanie ou le temple enfoui d’Abou Simbel en Égypte.
Mon avis : excusez (encore) mon incurie en matière de culture générale mais je ne connaissais, ni des lèvres, ni des dents, le destin plus qu’extraordinaire de ce riche rejeton d’une famille bâloise. Ce paisible étudiant à Londres a su forcer un mektoub qui se refusait méchamment à lui pour vivre ses rêves. Cet ouvrage a de facto une vertu pédagogique pour pas mal d’entre nous mais ne me demandez pas le pourcentage. Celui du courage et la hardiesse monte, en revanche, tout près de 100 pour celui qui se fera appeler Cheikh Ibrahim Ibn Abdallah après sa conversion à l’islam qui le verra devenir le premier Européen à effectuer le Hadj à la Mecque.
C’est une magnifique peinture historico-géographique d’un XIXe siècle d’encore tous les possibles qui se propose à nous. Avec des mots à faire résonner tous les imaginaires : Alep, compagnie des Indes, caravansérail, Palmyre, druzes, pour n’en citer que quelques-uns. On voyage chichement dans les pas de celui qui sera tout à tour marchand indien ou bédouin misérable sous le joug des Wahhabites. Le môme de Cambridge a su épouser bien des atours pour devenir le plus grand connaisseur d’une civilisation encore bien exotique pour nombre de ses contemporains. Et pour nous-mêmes.
Son nom n’a pas séduit la postérité au même titre que ses illustres prédécesseurs les Colomb, Magellan ou encore Vasco de Gama mais cette biographie haletante lui rend grâce et le replace, un peu, dans la mémoire collective. Ce n’est pas le moindre des talents de cette bande dessinée aussi pédagogique qu’enlevée et bien construite. Il est des ouvrages qui vous permettent d’être un peu moins sots lorsque les trois lettres finales apparaissent, celui en fait assurément partie. Sa construction participe à ce phénomène avec une succession de rebondissements qui sont aussi propres à ce destin de découvreur d’un Orient qui s’est longtemps montré rebelle à l’idée de se dévoiler. Aux Européens et aux autres.





En accompagnement : pour l’ambiance générale, j’ai eu envie de me replonger dans l’exceptionnel Les Ethiopiques de Pratt.
Autour de la BD : Danièle Masse, docteur ES lettres de l’université de Toulon, est une fine connaisseuse du monde arabo-musulman. On lui doit, en BD, le très réussi Gisèle Halimi, une enfance tunisienne. C’est également une très bonne connaisseuse de Johan Ludwig Burckhardt à qui elle a consacré plusieurs ouvrages.
Son compère, au crayon, Alexis Vitrebert a œuvré sur Le château de mon père. Il nous offre une palette de sensations avec son trait très évasif et ses couleurs aquarelles.
Les + : les couleurs, l’info pure, le rythme, l’ambiance du début à la Dickens, etc.
Les – : validé à 200%, rien à redire.
- Scénario : Danièle Masse
- Dessin : Alexis Vitrebert
- Éditeur : Delcourt
- Prix : 19,99 €